La chirurgie réfractives au laser a un taux de réussite élevé, mais le cauchemar est énorme sur les patients échoue
Langis Michaud, Université de Montréal
Cela fera bientôt un an que Jessica Starr, une météorologue vedette de la télé de Détroit, s’est enlevée la vie. Selon son mari, elle aurait agi en raison des complications liées à sa récente chirurgie réfractive au laser.
De telles complications ne sont pas si rares qu’on le pense. Le New York Times en avait fait mention dès 2018, alertant des effets potentiels subis par certains patients. Plus récemment, et plus près de nous, une demande d’action collective a été déposée partout au pays contre l’entreprise québécoise Lasik MD. On lui reproche de ne pas avoir bien prévenu ses clients des risques associés à l’opération de correction de la vue.
Est-ce à dire que le rêve de se débarrasser de ses lunettes pour améliorer sa vision doit être oublié ?
Une technologie améliorée
La chirurgie réfractive au laser vise à modifier le profil de la cornée, partie avant et claire de l’oeil, pour corriger des problèmes courants de la vision: myopie, hypermétropie et astigmatisme. L’idée est de ne plus avoir besoin de lunettes. Introduite en 1983, en Allemagne, la première procédure nord-américaine a été effectuée en 1985. Depuis, des millions ont été exécutées. La chirurgie au laser remplaçait alors avantageusement une technique plus imprécise, la kératotomie radiaire (KR).
Les premières technologies laser déployées ont conduit à de meilleurs résultats, plus stables, et plus prévisibles, mais elles ont également été associées à un certain nombre de complications : douleur intense lors de l’intervention et les jours suivants, traitement décentré entraînant la perception de halos et d’éblouissement, sous ou sur-correction qui nécessitent les besoins d’une retouche ou de porter à nouveau des lunettes, brouillard permanent de la cornée ou retard de guérison de la surface cornéenne avec potentiel d’infection accru.
Afin d’améliorer ce profil, et surtout le confort du patient, une technique appelée LASIK (laser in situ keratomileusis) a été développée dans les années 90. Cette fois, le laser est appliqué une fois qu’un clapet de tissu, généré en incisant la cornée à l’aide d’un petit rabot muni d’une lame, est soulevé. Le clapet est ensuite replacé, sans nécessiter de sutures.
Des complications, malgré tout
Toute chirurgie comporte des risques. Les incidents graves après un Lasik ne surviennent que dans 0,1 pour cent des cas. Mais diverses complications affectent entre 10 et 30 pour cent des patients opérés, en comparaison avec un taux de 7,7 pour cent après une chirurgie de cataractes.
Si la majorité des complications sont mineures et n’entraînent pas de conséquences permanentes, un certain nombre de patients vivent toutefois des problèmes visuels et/ou une douleur post-opératoire intense de façon chronique, au point où un ancien expert de la FDA, Morris Waxler, en demande le rappel et une suspension de son usage avant de nouvelles enquêtes sur la sécurité.
Concernant le Lasik, Santé Canada liste de son côté plusieurs effets potentiels sérieux, dont il faut tenir compte.
Un cas cauchemardesque
La cornée opérée par laser a été traumatisée et elle doit récupérer pour rétablir sa fonction normale. Dans le cas du Lasik, on coupe la cornée au niveau des nerfs sensitifs. Ils assurent la protection de l’oeil mais également la rétroaction (biofeedback) nécessaire à la production de nouvelles larmes.
En absence de cette rétroaction, l’oeil s’assèche et sa surface peut se dégrader. Dans la majorité des cas, les nerfs coupés vont retrouver une fonction normale dans les quatre à six mois. Mais pour un nombre certain de patients, l’épisode tourne au cauchemar.
Karen (nom fictif) est une de ces patientes que j’ai rencontrée récemment. Jeune cadre dynamique, elle avait opté pour la chirurgie pour des raisons pratiques (travail, activités sportives) et esthétiques. Attirée par des promotions et un prix alléchant, elle s’est présentée au centre de laser et a été examinée rapidement par le personnel en place. Encore plus rapidement lui a-t-on donné rendez-vous pour une chirurgie … le lendemain ! Sans trop réfléchir, elle a procédé.
Dans les jours et les semaines suivantes, ses yeux font de plus en plus mal. Douleur intense (des couteaux dans les yeux), rougeur, sensibilité à la lumière (elle doit porter des lunettes solaires même à l’intérieur), difficultés à dormir, etc.
Le personnel du centre tente de la rassurer : ce sera passager, vous êtes la seule à qui cela arrive, mettez des larmes, cela va guérir tout seul. Les semaines passent, sans amélioration. Elle demande à revoir le chirurgien.
Ce dernier lui dit que son oeil est guéri et qu’on ne peut plus rien pour elle. Son ton et son attitude précipitent Karen dans un grand désespoir. Elle vit une sensation de rejet, de déni de sa réalité, d’incompréhension. La situation affecte son travail. Elle entreprend alors de consulter d’autres professionnels, se faisant toujours dire que son oeil est parfait. Personne ne semble la comprendre.
Un mal sournois
Karen souffre en fait de neuropathie. Il s’agit d’une atteinte des nerfs périphériques qui causent des symptômes, sans pour autant qu’ils soient associés à une pathologie visible. À la suite du LASIK, les nerfs de la cornée demeurent endommagés de façon permanente (comme des fils électriques dénudés), ou ils se régénèrent mais en établissant des mauvaises connexions. Dans les deux cas, les nerfs envoient au cerveau un signal constant de douleur.
Après quelques semaines/mois, la douleur devient internalisée (comme une douleur émanant d’un membre fantôme) et le cerveau participe donc à rendre les symptômes chroniques. Comme personne ne comprend vraiment cette atteinte, les patients sont rejetés et la dépression s’installe à mesure que la condition s’aggrave.
L’incompréhension de ce cas vient du fait que c’est un champ nouveau en médecine oculaire, peu documenté en littérature scientifique. Les traitements sont complexes et demandent beaucoup de temps. Il faut, en fait, créer de nouvelles connections nerveuses normales tout en brisant les mauvaises, à l’aide de médicaments (cortisone, gouttes de sérum autologue, lentille pansement faite de membrane amniotique, etc.).
On doit également casser la stimulation internalisée à l’aide de médication orale, prescrite en clinique de médecine spécialisée pour la douleur. Le recours à des anti-dépresseurs peut être utile, mais ils ont, en général, l’effet d’augmenter la sécheresse oculaire, ce qui est contre-productif. La psychothérapie est essentielle, avec un professionnel formé en traitement de la douleur chronique. L’huile de cannabis pourrait contribuer, en théorie, mais cette approche est controversée..
Karen a perdu son emploi pour cause d’absentéisme fréquent et perte de productivité. Ses traitements, dispendieux, grugent ses économies. Le stress financier s’accentue au fil des mois alors que la lumière tarde à pointer au bout du tunnel. Son conjoint n’en peut plus. Le divorce, prévisible mais souvent inévitable rendu à ce point, ne fera qu’aggraver les choses.
Quoi faire et savoir avant de décider de se faire opérer
Afin de ne pas se retrouver dans la situation de Karen, certaines précautions peuvent être prises.
Il faut tout d’abord éviter de décider sur un coup de tête. Prenez l’information d’abord auprès de votre professionnel de la vue, celui qui connaît vos yeux depuis longtemps. Ensuite, obtenez au moins deux opinions avant de procéder, dans des centres différents et évaluez l’accueil et le lien de confiance ressenti.
Certains facteurs de risque peuvent réduire l’efficacité de l’intervention. Ainsi, plusieurs patients optent pour la chirurgie car ils deviennent intolérants aux lentilles cornéennes, avec sensation d’inconfort et de sécheresse en fin de journée. Si c’est le cas, c’est que l’oeil est déjà sujet à la sécheresse : la chirurgie ne fera que l’augmenter ! Il faut donc consulter son optométriste afin de traiter cette sécheresse AVANT l’opération et attendre que la surface de l’oeil soit prête pour l’opérer.
Les patients qui souffrent de maladies inflammatoires chroniques devraient s’abstenir de procéder à une chirurgie réfractive (fibromyalgie, syndrôme du colon irritable, Chrohn, lupus, arthrite rhumatoïde, etc.) De même, les personnes souffrant de diabète ou de migraines fortes et chroniques sont considérés comme de mauvais candidats. Finalement, les personnalités de type obsessif-compulsif devraient également s’abstenir . Par exemple, ils pourraient avoir le réflexe de frotter leurs yeux de façon violente, ce qui peut déloger le clapet de tissu.
Les fortes myopies (>8D) de même que les patients qui ont de grandes pupilles (partie noire de l’oeil >5 mm) sont sujets à la perception continuelle de halos et d’éblouissement après la chirurgie, ce qui est très dérangeant.
Après l’opération
Une fois opéré, il faut s’assurer d’un suivi professionnel adéquat : exigez de voir un optométriste ou un ophtalmologiste à chaque occasion. Le personnel d’assistance, même formé adéquatement, n’est pas légalement autorisé à effectuer les diagnostics de votre condition (dire que tout va bien est un diagnostic en soi !). Ne jamais négliger des examens périodiques du reste de la santé oculaire est également important: un fort myope, même opéré, demeure toujours à risque de déchirure de la rétine !
La chirurgie au laser est effectuée avec succès dans plus de 95 pour cent des cas. Pour éviter les problèmes chroniques, il faut être bien évaluée et bien informée.
On n’a que deux yeux et ils ne sont pas remplaçables. On doit y voir !
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Langis Michaud, Professeur Titulaire. École d’optométrie. Expertise en santé oculaire et usage des lentilles cornéennes spécialisées, Université de Montréal
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation.